Cancer du sein : des collectifs de professionnels de la santé alertent sur les effets néfastes du dépistage massif #OctobreRose

Chaque année, à l'occasion d'Octobre Rose, la tour Eiffel s'illumine de rose. Si l'intention de sensibiliser autour du cancer du sein est louable, qu'en est-il de l'impact réel d'Octobre Rose sur la santé des femmes ?

À l’occasion de la 27e édition de la campagne Octobre Rose, plusieurs collectifs de professionnels de la santé français et belges alertent sur les effets négatifs du dépistage massif du cancer du sein et réclament une information plus complète des patientes ainsi qu’une nouvelle stratégie — plus ciblée, plus individualisée et plus responsabilisante —  de dépistage du cancer du sein. À contre-courant de la marée rose bonbon, ils dénoncent des surdiagnostics mauvais pour la santé, l’inefficacité du dépistage de masse, une mésinformation des patientes, une infantilisation des femmes, des conflits d’intérêt et une exploitation mercantile.

Un groupe composé de 5 médecins français et d’une toxicologue a créé le site de vulgarisation scientifique Cancer Rose pour « ré-informer les femmes concernées par le dépistage afin de les aider dans leur choix« . Ils entendre faire connaître aux femmes « les données scientifiques les plus objectives et les plus récentes sur le dépistage du cancer du sein, celles auxquelles vous avez droit, et dont on vous prive lors de la campagne rose ».

Un collectif belge a récemment publié dans Le Soir une tribune contre Octobre Rose, que nous retranscrivons ici :

Comme chaque année, Octobre sera Rose. Rose comme le ruban qui symbolise la lutte contre le cancer du sein. On vous incitera à courir pour soutenir le dépistage du cancer du sein. On vous encouragera à faire un don à une association de votre choix. On vous proposera d’acheter des produits cosmétiques dont une partie des bénéfices sera redistribuée en faveur de la recherche. On vous invitera à écouter le témoignage de femmes ayant vécu avec un cancer du sein…

Si, nous, femmes des mouvements pour la santé des femmes, comprenons le besoin de rechercher des fonds pour la lutte contre le cancer du sein et la nécessité d’informer sur cette maladie, nous ne pouvons accepter que ces actions s’accompagnent de la marchandisation de la santé des femmes et de la désinformation sur le dépistage.

Des campagnes inacceptables

De multiples campagnes pour le dépistage du cancer du sein ont utilisé et utilisent encore des moyens dégradants pour les femmes : des seins animés, à la Schtroumpfette sur fond rose, en passant par des images de femmes découvertes, jeunes, belles et sexy, jusqu’aux blagues sexistes et la vulgarité. En France, en 2016, une association diffusait sur les réseaux sociaux : « aujourd’hui, un homme m’a touché les seins… ce n’était pas mon mec, mais je me suis laissée faire ». Infantilisation, sexisme et information partielle : voici des campagnes de dépistage du cancer du sein destinées aux femmes, ces grandes courges, ces femmes-objets qui ne comprennent rien aux chiffres et aux explications rationnelles et qu’il est donc inutile de mieux informer !

Mésinformation

En ne parlant pas des progrès dans le domaine thérapeutique, en n’ouvrant pas le débat sur le dépistage du cancer du sein, Octobre rose participe à la mésinformation de la population. De ces campagnes mais aussi au cours d’émissions de télé, de radio ou sur les réseaux sociaux, ressort trop souvent une injonction à se faire dépister et une culpabilisation pour les femmes qui ne le feraient pas. Ce discours dominant empêche que d’autres (associations, fondations, hôpitaux, chercheurs) qui s’informent et/ou travaillent sur ce sujet soient entendus.

Un marketing juteux

Le sein symbolise la femme, l’amour, la maternité, la sexualité… Poumons, intestins, prostates n’invitent pas au même imaginaire ! Pas étonnant que le marketing social ait choisi le cancer du sein plutôt qu’un autre. Tant mieux pour le financement de la recherche et des associations qui luttent contre le cancer du sein mais… Dès le départ, aux Etats-Unis, Octobre rose s’est associé à de grandes entreprises cosmétiques et des laboratoires pharmaceutiques pour mener ses actions. Octobre rose et Ruban rose ont été rapidement suspectés de « pinkwashing », c’est-à-dire, d’utiliser une « bonne cause », ici la santé des femmes, pour vendre et faire du profit. L’Europe n’est pas épargnée. Actuellement, une campagne nationale belge de sensibilisation soutenue par Think-Pink est sponsorisée par de nombreuses entreprises dont les plus surprenantes : l’automobile, l’agroalimentaire ou encore le textile.

Combien, à qui et pourquoi ?

Quels sont les intérêts financiers et commerciaux en jeu dans ce type de collaborations ? Quelle part des sommes récoltées via le sponsoring et les dons est redistribuée à la recherche ? De quelle manière ces associations et entreprises orientent-elles l’utilisation des fonds collectés ? Comment comprendre que certaines de ces entreprises fabriquent et vendent des produits contenant des perturbateurs endocriniens potentiellement impliqués dans l’apparition des cancers ? Pour plus de clarté, une association canadienne suggère de poser aux entreprises et associations qui participent à Octobre rose une seule question : « Combien, à qui et pourquoi ? ». Dans une économie libérale, si le marketing social est nécessaire voire indispensable au financement d’associations, il doit se faire en toute transparence !

Redonner la parole aux femmes !

Octobre rose est un fourre-tout, d’organismes, d’initiatives, d’enjeux éthiques, commerciaux et financiers où trop souvent le profit se sert de la bonne foi et des bonnes intentions. On prend les femmes par les sentiments pour qu’elles soutiennent des campagnes, participent au dépistage, s’activent pour leur santé et… la santé de quelques entreprises. Les femmes restent une cible privilégiée dont on veut encore et toujours maîtriser le corps et l’esprit.

Nous, femmes des mouvements pour la santé des femmes, refusons que se poursuivent la marchandisation et l’exploitation économique du cancer du sein ; nous refusons d’adhérer à toute campagne qui infantilise les femmes, qui véhicule sexisme ou qui mal informe le public ; nous refusons que notre corps, notre parole et notre vécu de la maladie soient confisqués au profit d’intérêts privés.

De la transparence avant tout

Nous, femmes des mouvements pour la santé des femmes, voulons des informations complètes sur le dépistage, le diagnostic, les traitements du cancer du sein ; nous voulons que chacune puisse choisir en toute sérénité de se faire dépister ou non du cancer du sein ; nous voulons être des partenaires à parts égales de la communauté scientifique et médicale ; nous voulons que soient encouragées les recherches sur les causes du cancer du sein, en particulier celles en lien avec la pollution et la dégradation de l’environnement ; nous voulons une transparence totale sur toutes les actions menées au nom d’Octobre rose et sur l’utilisation des fonds récoltés.

Informer complètement et redonner la parole aux femmes, à toutes les femmes, nous semble une nécessité pour répondre à leurs besoins et à leurs choix en matière de santé.

En savoir plus sur le sujet :

« Octobre rose » : faut-il un dépistage systématique du cancer du sein ?

Le site d’information scientifique Cancer Rose

« Attention au Pinkwashing. Le marketing d’Octobre Rose »

L’industrie du ruban rose, brochure réalisée par l’association Au sein de sa différence

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