Je crois qu’il y a une chose à laquelle je ne m’habituerai jamais : c’est l’extrême prévisibilité de certains humains. Rien ne me déconcerte plus qu’une personne qui se comporte comme un automate. Parmi ces robotismes, il y en a un qui a d’importantes conséquences sur la vie politique occidentale. Le voici : quand un politique invoque la diversité, vous pouvez être certain que cette personne n’a pas la moindre idée de ce qu’est la diversité, n’a aucun intérêt pour la diversité des cultures humaines, ne supporte pas les humains vraiment différents de lui, et organise toute sa vie pour n’être jamais entouré d’autre chose que de reflets de lui-même.
J’ai vu des gens énumérer les cent pays qu’ils ont « faits » en radotant toujours les mêmes clichés parfaitement vides et autocentrés sur les autochtones qu’ils prétendaient avoir observés. Mes études m’ont fait côtoyer des bourgeois aussi fiers de leur « ouverture au monde » qu’incapables de s’intéresser sincèrement aux gens qui ne leur ressemblent pas. J’ai même vu des prêcheurs diversitaires éclater de rage jusqu’à l’appel au meurtre lorsqu’on leur exposait l’éventualité qu’il existât sur terre des humains irréductiblement différents d’eux, mûs par leurs propres désirs, ne souhaitant en aucune manière leur ressembler.
Ce mélange de rhétorique diversitaire et d’incapacité à concevoir la diversité humaine, je l’ai rencontré dans la bourgeoisie et chez les aspirants bourgeois. Ce n’est même pas de l’hypocrisie. C’est toute une vision du monde qui s’exprime. Malgré ses airs sécularisés, la bourgeoisie occidentale contemporaine est chrétienne. Elle se compose des familles sélectionnées par plus de 1500 ans de domination chrétienne. L’un des pilliers de la psychologie chrétienne est l’idée que chaque humain aspire à être « sauvé » par l’Évangile. Vouloir autre chose que ce que veut le chrétien, c’est s’égarer, c’est s’abîmer dans l’inconcevable. Dans la mentalité chrétienne, la différence est toujours un problème, c’est l’hérésie qu’il faut écraser, c’est l’erreur qu’il faut corriger par l’évangélisation. La diversité humaine n’est valorisée que dans la stricte limite où elle offre un terrain de jeu aux missionnaires. L’humain différent n’est respectable que dans la mesure où l’on espère le convertir. Cette vision de l’humanité et du monde, que l’on retrouve tant chez les chrétiens explicites que chez les chrétiens mutants que sont les communistes, les républicanistes, les assimilationistes et les wokistes, on peut lui donner le nom de monisme : un système de pensée selon lequel la vérité résiderait dans l’Un et l’erreur dans le multiple. Dans la pensée moniste, tout doit converger vers un monodieu, une mono-identité, un monodogme.
C’est pourquoi dans les débats publics, le mot de diversité est toujours employé pour désigner son contraire. Il n’y a qu’à regarder quels symboles sont utilisés pour représenter « la diversité ». Regardez le logo de l’association « Coexister » : c’est le mot « cœxister » mélangé avec le croissant islamique, la croix chrétienne et l’étoile de David. C’est très intéressant, cette réduction de la diversité aux trois monothéismes que sont l’islam, le christianisme et le judaïsme, soit les trois dogmes ayant historiquement le plus œuvré à l’éradication de la diversité humaine. Enfin, les deux premiers, surtout, puisque le troisième joue le jeu moniste pour survivre mais ne vise pas la conversion, même si sa composante monothéiste a servi de matrice aux deux religions de conversion.
Il y a des milliards d’êtres humains sur terre, mais quand en Occident, on nous vend la diversité, c’est toujours pour nous vanter les mérites de l’islam, religion qui, comme son frère jumeau le christianisme, considère la diversité spirituelle comme une abomination à éradiquer. Je ne vais pas m’étendre sur des siècles de conversions forcées, de colonisation avec prohibition ou régime ségrégationniste envers les réfractaires à la conversion, de persécution des païens sur tous les continents, de dévastation et de vol des temples païens pour les transformer en églises et mosquées, de destruction des représentations humaines accusées d’offenser le monodieu, de criminalisation de l’homosexualité, de répression de la libre pensée, de haine envers les sciences, de mépris infini pour la femme.
Notre monde est peuplé d’humains polythéistes (les Hindous notamment) et de non-affiliés religieux fuyant autant que possible l’emprise des religions monistes, mais non, pour notre bourgeoisie régnante, la diversité, c’est forcément la mise en avant d’un dogme monothéiste ennemi de la diversité humaine. Nous sommes censés nous extasier du cirque narcissique de l’entre-congratulation entre trois chapelles d’un même monisme, et appeler cela « diversité ». Le sens social du mot diversité est diamétralement opposé à son sens logique.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Eh bien, malgré plus de 1500 ans de monoculture chrétienne obligatoire, la conversion n’a jamais marché et les prolétaires occidentaux ont rejeté le christianisme dès qu’ils l’ont pu. L’effondrement de la théocratie chrétienne a permis l’expression des aspirations profondes des Occidentaux, parmi lesquelles l’aspiration à une société polyiste : une société qui valorise la diversité au lieu de la criminaliser. La bourgeoisie chrétienne (pléonasme), ne pouvant plus s’imposer comme par le passé, a maintenu son pouvoir en se mettant au goût du jour, et s’est mise à reformuler son dogme en des termes diversitaires. C’est ainsi qu’elle a inventé : la promotion de la diversité sous les traits de l’amitié islamo-chrétienne. C’est fascinant. Ils ont l’air très contents d’eux. Il faut dire qu’historiquement pour notre bourgeoisie, tolérer les protestants, c’était déjà le bout du monde.
On pourrait appeler cela le paradoxe de la mono-diversité : cette attitude de la bourgeoisie chrétienne et néo-chrétienne consistant à ne promouvoir la diversité que pour accroître le pouvoir de dogmes criminalisant la diversité. Cette situation est renforcée par un effet de stéréo bourgeoise : la gauche dit « embrassez la diversité, donc ouvrez-vous à l’islam », et en face, les conservateurs disent « si vous ne voulez pas de l’islam, rejetez la diversité et revenez au pied de la croix, soumettez-vous à notre monodogme ». Ces deux factions de la bourgeoisie chrétienne et néochrétienne œuvrent conjointement à ancrer une seule et même vision du monde.
Ce paradoxe se retrouve dans tous les champs de la politique, et le féminisme ne fait pas exception. La diversité et l’inclusivité sont brandies pour inviter à s’ouvrir à l’islam et pour dévaloriser les femmes rejetant l’islam (la plupart des femmes, donc). La plupart des féministes de ce pays trouvent cela étrange et peinent à formuler leur malaise, qui se traduit généralement soit par une prise de distance, soit par un déni. Ce malaise reste dans le champ de l’indicible car ce sont toujours les dominants qui fixent le champ du dicible et de l’indicible. Dans le féminisme comme ailleurs, c’est la bourgeoisie chrétienne et néo-chrétienne qui tient les cordons de la bourse et les rênes de l’attelage. Donc, dans le féminisme officiel comme ailleurs, on est sommées d’affirmer que la diversité, c’est les religions anti-diversité, un point c’est tout.
Loin du cirque de la politique néo-chrétienne, je tisse les premiers centimètres du féminisme polyiste.
D’un féminisme émancipé des missionnaires et des croisés.
D’un féminisme célébrant la véritable diversité tant religieuse que politique, spirituelle et ethnique.
D’un féminisme existant pour lui-même et non comme caution de l’agenda moniste de la gauche chrétienne.
D’un féminisme qui ne somme pas les femmes de choisir entre leur peuple et leur liberté.
D’un féminisme moteur dans le processus de guérison civilisationnelle de l’Occident du traumatisme de la dévastation chrétienne.
D’un féminisme hérétique libéré du monodieu, du monodogme, de la monogamie forcé, de la monoculture, de la mono-identité.
D’un féminisme déployé dans tous les champs et toutes les factions de la politique.
D’un féminisme favorisant l’épanouissement des identités féminines.
D’un féminisme proclamant le droit des femmes à exister et à s’exprimer pour elles-mêmes bien au-delà de la seule réparation d’une inégalité.
D’un féminisme autorisé à vivre hors des enclos de la politique néo-chrétienne, loin de l’obligation de servir de faire-valoir à l’une des factions de la gauche ou du conservatisme.
Cela fait plus de 1500 ans que ce féminisme-là est criminalisé, et que mille fois il a été tué dans l’œuf dès qu’il a essayé de vivre à la lumière. Il n’existe pour le moment que sous une forme informelle, non explicite mais omniprésente.
Permettez-moi donc de prendre mon temps.
Je n’écris pas pour convaincre. J’écris pour tracer une voie.