Le cas coréen, ou la beauté pervertie

Avec l’avènement de la K-pop, nous parviennent chaque jour plus de nouveaux produits de beauté et de nouvelles modes tout droit venus de Corée du Sud. La K-beauté s’exporte dans le monde au prix d’un paradoxe : derrière cette myriade de poupées délicates, se cache un rapport douloureux des Coréennes à leur propre patrimoine génétique.

La beauté des Coréennes est aujourd’hui peu contestée, notamment pour cette pureté et cette innocence qui se dégagent de cette fragilité diaphane presque irréelle, aux antipodes de cette sexualisation très marquée en Occident de nos jours grâce au modèle américain qui prône une sorte de mens sana in corpore sano  esthétique, où un corps hâlé, musclé et plantureux serait la conséquence d’un mode de vie sain, dynamique et où l’affirmation de soi s’exprime par un maquillage artificiel et osé.

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Mais nul n’ignore que derrière leur apparente beauté naturelle, les Coréennes font usage de l’artifice ultime qu’est la chirurgie plastique. La Corée du Sud est le pays qui comporte le taux le plus important de chirurgie esthétique par habitant et une femme coréenne sur cinq y a recours. La chirurgie est même devenue un investissement de famille, qui vient avec les frais de scolarité d’une bonne université. Elle peut être offerte par des grands-parents à leurs petits-enfants, car dans le monde du travail, le physique est un critère déterminant pour une femme, surtout dans une société aussi concurrentielle que la Corée moderne.

La chirurgie sert systématiquement le même idéal esthétique : les femmes cherchent toutes à avoir ce même visage petit (se faire dire qu’on a un petit visage est un compliment), de grands yeux débridés, un petit nez, des lèvres ourlées, un teint laiteux et des cheveux châtain foncé. Les Coréennes sont nombreuses à se faire opérer pour obtenir une mâchoire en V à l’occidentale. Et ce, même si cette opération extrêmement lourde entraîne des complications dans 52% des cas, pouvant aller jusqu’à la paralysie faciale. En 2013, la planète entière s’était amusée à comparer le tableau des participantes d’un concours de beauté coréen à une attaque de clones.

L’idéal esthétique en Corée du Sud est donc eurasien. En 2012, le dessinateur coréen Mind C a pointé du doigt cette évolution de la beauté féminine coréenne. Intitulé « Gangnam beauty » (en référence au quartier de Gangnam de Séoul célèbre pour ses cliniques esthétiques), le dessin reprend une estampe traditionnelle coréenne en l’adaptant aux nouveaux critères de beauté. Grands yeux, sourcils marqués, nez à l’arrête franche, mâchoire en V : tout y est.

Par conséquent, une coréenne très typée qui porterait les traits de ses ancêtres serait par définition et selon ces critères défectueuse. En caricaturant cette perversion à l’extrême (il ne s’agit là que d’une mode) et en se fondant uniquement sur le critère du phénotype racial, une fille sera belle ou pauvre, riche ou laide, selon que du sang caucasien coule dans ses veines.

L’actrice Song Hye Kyo

 

Les Coréens ne sont pas le seul peuple qui se détourne de sa beauté initiale (femmes et hommes) au profit de physiques chimériques. Mais il est plutôt amusant de s’intéresser aux origines historiques de cet engouement pour la transformation ethnique. Remontons jusqu’à la guerre de Corée dans les années 50.

Comme de coutume, la guerre fournit une occasion de développer de nouvelles techniques chirurgicales, et notamment en matière de reconstruction faciale. Les soldats au faciès ravagé ne sont pas rares, et parmi les pionniers dans ce domaine, le Dr Ralph Millard, chirurgien plastique en chef aux United States Marine Corps arrive en Corée en 1954. Il a en partie aidé à reconstruire les visages de populations coréennes ravagées par les incendies, et a fini par débrider les yeux de prostituées coréennes qui cherchaient à se rendre plus attirantes aux yeux de soldats américains, et procédaient ainsi à un pur et simple accroissement de capital, qui ne tardait pas à produire un retour sur investissement… Aujourd’hui, la pratique s’est généralisée, au point que les cliniques n’hésitent pas à vanter les bienfaits de la reconstruction faciale dans les rues et les couloirs de métro de Séoul.

Publicités pour des cliniques esthétiques à Séoul (Jean Chung pour The Newyorker)

En Corée du Sud, la Pax Americana pourrait bien avoir marqué des populations dans la chair, si je puis dire, et parfois de manière plus profonde qu’on ne l’imaginerait…