Lettre ouverte à Virginie Despentes, par une femme qui l’a (trop) bien connue

Chloe des Lysses et Philippe Manoeuvre (crédit photo : Chloe des Lysses)

[ Avertissement : Le présent témoignage en forme de lettre ouverte comprend des passages susceptibles de heurter nos lectrices, de par leurs accents presque « masculinistes », mais je n’ai pas voulu modifier un seul mot du témoignage, parce qu’il comporte des éléments éclairants concernant certaines branches dévoyées du féminisme, et parce que je ne veux pas confisquer la parole à celle qui témoigne. Qu’elles proviennent d’hommes ou de femmes, la plupart des attaques envers des féministes sont le fait de personnes qui projettent leurs fantasmes sur le féminisme sans même avoir pris la peine de réellement le connaître. Et puis, il y a ces femmes qui en arrivent à détester les féministes pour avoir trop bien connu certaines de leurs représentantes autoproclamées. La voix de ces femmes mérite d’être entendue, parce qu’elle est de bonne foi et parce qu’elle s’appuie sur des expériences concrètes. Des expériences qui ne sont sans doute pas représentatives de la totalité des féministes, et encore moins du féminisme que je m’attache à développer, mais des faits quand même, que nous ne devrions pas mettre sous le tapis.

C’est précisément pour porter la voix des féministes laissées pour compte par le féminisme instututionnel que j’ai créé Bellica et c’est pour cela que le témoignage de Chloe des Lysses à toutes sa place ici. Je comprends sa colère parce que la haine fait toujours plus mal quand elle vient se ceux qui prétendent nous défendre. On se remet toujours mieux d’un simple coup bas que d’une trahison. « Oui, ça fait encore plus mal quand il s’agit d’une femme », écrit Chloe dans sa lettre, et elle ajoute : «  Vous détestez les hommes, certes, mais en filigrane et d’expérience, je sens, je sais que vous détestez les femmes aussi. » J’ai la chance de ne pas avoir vécu de drame aussi terrible que celui qu’a vécu Chloe, mais je partage avec elle une expérience qui m’a fait me sentir profondément trahie par les féministes. Il s’agit de la totale négation de mon expérience des agressions misogynes et du harcèlement de rue, il s’agit de l’injonction à ne pas décrire ses agresseurs pour protéger l’ego racial et religieux des agresseurs, il s’agit de la connivence des féministes d’extrême-gauche avec des hommes qui se vantent de semer la terreur dans l’espace public et donc de pourrir la vie aux femmes.

J’ai pour ma part fait le choix de créer mon propre mouvement féministe pour donner une voix et un lieu pour les femmes laissées pour compte par le féminisme de gauche institutionnel. J’ajoute enfin que la personne mise en cause par ce témoignage, Virginie Despentes, fait partie de ces personnalités qui ont publiquement exprimé leur compassion pour les terroristes islamistes : « Je les ai aimés dans leur maladresse, quand je les ai vus armes à la main semer la terreur en hurlant « on a vengé le Prophète » et ne pas trouver le ton juste pour le dire », écrivait-elle à propos des frères Kouachi, quelques jours après l’attentat de Charlie Hebdo. Je ne crois pas devoir faire preuve d’une quelconque « sororité » militante féministe envers une prétendue militante féministe qui utilise sa notoriété pour tresser des lauriers aux combattants armés d’une idéologie obscurantiste qui proclame noir sur blanc l’infériorité de la femme et qui, partout où elle s’impose, aboutit à la mise aux fers des femmes, leur interdit d’avoir un visage, les lapide si elles ont des rapports sexuels avant le mariage, les emprisonne et les tue si elles montrent leurs cheveux. ]

Lettre ouverte à Virginie Despentes, par Chloe des Lysses

Madame,

En mai 2005, le journal Libération annonçait la mort brutale à quarante-deux ans de Gérard JUBERT, fondateur du magazine l’Eléphant rose, mon ami depuis 1993 et mon compagnon depuis 2002. Nous vivions ensemble, de manière informelle, avec ses deux enfants. Quelques heures plus tôt, j’avais découvert son corps, dans notre lit, sans vie. Vision d’horreur. Je me suis retrouvée veuve et aussi sans toit puisque l’appartement a été mis sous scellés par la police.

Photographe à la réputation sulfureuse en raison de films pour adultes tournés en 1993, je gagnais très mal ma vie, ne recevais aucun soutien de ma famille et me noyais dans une procédure de divorce entamée en 2001. J’étais fragilisée.

Philippe Manoeuvre, votre ex-fiancé (ceci n’est pas une atteinte à votre vie privée puisque votre couple était médiatisé), m’a appelée. Après m’avoir adressé ses condoléances, il m’a dit: « Je vais t’aider.« 

Il a fait ce qu’aucune « féministe » n’a osé.

Car certaines parlent, publient des tribunes « féministes », considèrent les hommes comme des monstres, des violeurs, des sales types qui abusent de leur pouvoir, mais qui agit quand une femme est en danger de mort, ce qui était mon cas, face à un accident de la vie, une grande précarité, l’absence de famille ? Qui est là ? Qui tend la main ? Les hommes de pouvoir, souvent.

Certainement pas vous.

Un soir, au Baron, cette même année, vous m’avez convoquée. Vous m’avez proposé de tourner un film pornographique dont vous seriez la réalisatrice.

Cette proposition m’a troublée dans la mesure où j’avais tout fait pour être autre chose qu’une femme-objet, reprenant mes études — je n’ai pas mon bac, devenant pigiste, et, quand cela ne suffisait pas à remplir le réfrigérateur, allant servir dans des restaurants. À l’époque, je vous admirais bien que n’ayant pas lu vos livres car je consacrais mon temps à rattraper mon retard avec des écrivains morts. Cependant vous étiez un modèle. Une femme libre partie apparemment de rien devenue un auteur à succès, le guide de toute une génération, et un critique musical punk de grande qualité.

Après que j’ai refusé vos propositions ou avances, j’ai rejoint votre ex-fiancé et toute une bande de gais lurons, hommes de pouvoir, venus promouvoir des livres dans ce club, le Baron, et j’ai bu et ri toute la soirée pour oublier combien le destin peut vous enlever ceux que vous aimez, cruellement, sans prévenir.

Vous-même devriez l’entendre puisque Karen Bach, actrice de votre film Baise-moi, s’était donnée la mort. Où étiez-vous d’ailleurs le jour où sa tentation du suicide devint irréversible ?

Vous êtes partie du club telle une Adèle Heanel, fulminant, avec votre démarche hommasse. Personne n’a compris. Vous, le chantre du punk, du rock ? Mais le rock, c’est autre chose.

À partir de ce moment, vous ne m’avez plus lâchée.

Cette nuit-là, vous m’avez laissé pas moins de quinze messages.

« Alors, on rigole, la veuve joyeuse, hein ?« 

« Le corps n’est pas encore froid que ça fait la maligne et la pute au baron, hein ? »

Chaque jour, chaque heure, vous m’avez harcelée, menacée de violences, mais pire, vous avez exigé du seul homme, mâle blanc de plus de cinquante ans prêt à jouer pour moi le rôle de père, qu’il cesse de m’aider. Vous avez œuvré auprès de tous ceux que vous connaissiez chez Rock & Folk ou ailleurs pour que je sois persona non grata.

J’ai gardé vos courriels aussi…

Vous auriez pu prendre mon parti. Celui de la femme en danger. Celui de la femme qui, si elle se retrouve à la rue, finira violée et égorgée. Le parti de celle qui se réveille la nuit, la peur au ventre, ne sachant pas si le lendemain, elle aura encore la force de continuer, tellement la vie est dure, injuste, ne connaissant ni le bien ni le mal.

La situation était telle, qu’un jour Philippe a dû contacter votre père pour le supplier de vous convaincre d’arrêter.

Votre haine a redoublé. Alejandro Jodowrosky a lancé une séance de magie pour que les étoiles me soient favorables.

Dans le petit panier de crabe de l’édition et du rock, où l’on préfèrera toujours la malédiction au bonheur, votre comportement amusait, j’ai moi aussi essayé d’en rire. Mais il est difficile de rire quand vous avez faim, Madame. Avez-vous connu la faim ?

Ce que vous souhaitiez était tout simplement ma mort: « Laissez crever cette pute » disiez-vous à qui voulait l’entendre.

Moi, j’avais choisi de vivre. À tout prix.

Portrait de Chloe des Lysses

Vous écrivez: « Vous, les puissants, vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, les exactions de votre police, les césars, votre réforme des retraites. En prime, il vous faut le silence de victimes.« 

Je vous réponds : « Vous la puissante, vous exigez la soumission à vos idées, en prime il vous faut le silence des victimes. »

Vous ajoutez « on a beau l’avoir pris des dizaines de fois votre gros pouvoir en travers de la gueule, ça fait toujours aussi mal ». Comme ce portrait de vous est ressemblant. J’ai beau avoir pris des dizaines de fois votre gros pouvoir en travers, lire votre tribune me révulse, me heurte.

Oui, ça fait encore plus mal quand il s’agit d’une femme. Les hommes, eux, ceux qui ont fait la guerre, connaissent la paix des braves. Pas vous. Vous détestez les hommes, certes, mais en filigrane et d’expérience, je sens, je sais que vous détestez les femmes aussi.

Je lis vos mots et toute l’hypocrisie qu’ils contiennent. Je lis cette phrase: « Par contre, la voix des opprimés qui prennent en charge le récit de leur calvaire, on a compris que ça vous soûlait. »

Donc je prends la plume pour raconter mon calvaire, mon enfance horrible avec un père alcoolique et violent et une mère jalouse et suicidaire. Ma vie d’adulte, à peine majeure et déjà jetée dans la dure réalité sans bagages et surtout, surtout, cette absence incroyable de solidarité de la part de femmes comme vous.

Moi, je les aime, les hommes de pouvoir. Ils ne sont pas exactement ce que vous décrivez. J’ai de l’admiration pour les hommes de pouvoir et parfois même de la compassion pour les hommes tout court. Ils se battent comme des lions pour garder le pouvoir. Mais nous, les femmes, nous battons-nous comme des lionnes pour nous entraider, sans haine ni esprit de revanche ?

Vos mots sont une insulte à l’homme mais aussi aux femmes qui se lèvent. Comment osez-vous écrire de telles horreurs ? « Le temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message : le respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent. »

Croyez-vous que le crime soit uniquement masculin ? Croyez-vous vraiment que tous les hommes de pouvoir sont des violeurs ? Ignorez-vous que des femmes sont parfois les complices de certains tordus ? Regardez-vous dans un miroir.

Vous parlez de leur monde qui est « dégueulasse« , mais comment est le vôtre ? Vous n’avez pas de cœur. Moi, je ne veux pas d’un monde sans cœur, moi, je ne veux pas d’un monde dans lequel Madame Despentes parle des femmes comme des « meufs« . Un monde dans lequel une mère isolée n’est pas contrainte de signer un chèque sans provision pour nourrir ses enfants pendant que dans vos robes à paillettes vous donnez des leçons.

Sans cesse, vous sortez des gros mots mais jamais vous ne mettez en lumière les maux. La précarité tue. L’absence de solidarité tue.

Moi, je veux être une femme, sucer des bites, donner ou vendre mon cul, si ça me fait plaisir, sans me faire traiter de salope par une Madame la morale Despentes, sans honte. Mais surtout, je veux un monde qui n’est pas monolithique. Un monde qui n’est pas en deux dimensions tel que vous le décrivez. Je veux un monde qui réconcilie les hommes et les femmes.

Je veux ce monde pour mes enfants. Car je suis mère. Ni « meuf », ni victime, ni soumise. Femme, fragile et forte, mère. Et surtout, je veux un monde dans lequel des femmes de pouvoir, comme vous, influentes dans les médias, l’édition et le cinéma, sont capables de bonté et de générosité. De dépassement de soi. Je ne veux pas d’un monde d’amazones, je veux un monde inclusif comme ont dit aujourd’hui, où votre féminisme qui n’en est pas, cesse de réduire l’homme à sa pire expression. Car nous les femmes ne valons pas mieux qu’eux. Votre tribune est obscène, encore plus quand on connaît votre véritable nature égoïste. Albert Camus disait « Un homme, ça s’empêche. » Une femme aussi.

Je ne vous salue pas, je préfère embrasser un homme.

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