Le métier de cette Américaine : fouetter des Blancs et les forcer à lire des livres afro-féministes

Mistress Velvet incorpore des lectures afro-féministes à ses séances BDSM (photo : Huffington Post -BRANDON NELSON)

Mistress Velvet est une maîtresse SM pour le moins atypique. En plus de les battre, elle exige de ses clients-souffre-douleur, en majorité blancs, qu’ils lisent des ouvrages afro-féministes.

Titulaire d’un master, cette chicagoane s’est lancée dans le BDSM professionnel il y a quelques années. « Je me suis dit que ça pouvait être rigolo et que ça me rapporterait beaucoup d’argent, alors pourquoi pas ? », explique-t-elle au HuffPost.

Des individus rémunèrent Mistress Velvet pour qu’elle soit leur domina, c’est-à-dire la personne qui joue le rôle du dominant dans une relation sado-masochiste. Elle déclare que la plupart de ses clients sont des hommes blancs hétéro-cisgenres.

Au début, ce fut l’orgueil qui motiva Mistress Velvett, lorsque ses premiers clients doutaient qu’elle ait le tempérament assez fort pour ce genre de pratiques. Elle a fini par trouver sa motivation dans la gratification personnelle que lui offre ce travail et a choisi de s’y consacrer sur le long terme.

Au fil du temps, Mistress Velvet a commencé à « beaucoup théoriser » sur les dynamiques de pouvoir à l’oeuvre lorsqu’une femme noire exerce une suprématie sur un homme blanc cisgenre. Elle se met alors à introduire la théorie afro-féministe dans ses sessions SM avec ses clients, qui lui confient que cela affecte leur comportement hors des séances.

L’un de ses clients lui a dit qu’il avait remarqué qu’il ne tenait la porte qu’aux femmes noires. Un autre homme, que Mistress Velvet a rééduqué sur l’oppression systémique des femmes noires, a fondé une association de soutien aux mères célibataires noires du quartier sud de Chicago.

Mistress Velvet s’est entretenue avec le HuffPost sur la manière dont ses clients réagissent à ses leçons, sur le BDSM comme espace de guérison pour les femmes noires, sur la diversité et les privilèges dans le travail sexuel.

Mistress Velvet (photo : Niki Sunshine)

 

Comment êtes-vous devenue maîtresse SM ?

J’ai commencé il y a quelques années alors que j’avais un travail à temps plein. Je me disais, je dois trouver plus d’argent, parce que je vais me faire mettre à la porte. J’avais une amie qui avait fait ça pendant six ans, et ça m’avait l’air intéressant. Je me suis renseignée sur le SM, et je me suis dit que ça pouvait être rigolo, que je pouvais gagner beaucoup d’argent, alors, pourquoi pas ?

Au début, j’étais nulle. Mon premier client – très gentil – m’a dit, après plusieurs tentatives : « Franchement, tu ne seras jamais une vraie maîtresse », parce que je m’excusais à chaque fois que le le frappais.

Je pense que le fait qu’il m’ait dit ça m’a donné envie de relever le défi. Je me suis dit : « Je suis capable d’être une maîtresse SM, je peux y arriver ».

Comment est-tu passée de cette volonté de te prouver des choses à une activité motivante que tu fais pour toi-même ?

Ma relation au SM a totalement changé. Bien-sûr, cela me procure avant tout une stabilité économique. Quand j’ai commencé, c’était du sexe de survie, j’avais besoin d’argent pour ne pas me faire expulser de mon logement et pour sortir d’une relation qui ne me convenait pas. Au fil du temps, je me suis rendue compte que j’étais hyper investie émotionnellement avec mes clients. Ils me procuraient un « safe space ».

À cause du patriarcat, il y a très peu de contextes où les hommes peuvent être vraiment soumis. Il viennent me voir pour trouver un « safe space » leur permettant d’explorer les parts d’eux-mêmes qu’ils perçoivent comme non-masculines ou qui leur font honte. A cause des contraintes sociales, ils ne s’autorisent pas à être totalement eux-mêmes dans plein de domaines, y compris la sexualité; J’ai adoré cette dimension de mon travail, et c’est ainsi que je m’y suis davantage consacrée. J’ai aussi beaucoup théorisé sur ça.

Peux-tu développer ? Comment as-tu commencé à introduire des éléments de théorie des dynamiques de pouvoir au sein même de cette dynamique de pouvoir ?

Je dirais que c’est pour moi avant tout une forme de réparation. Pas une réparation systémique – ils ne nous rendront pas nos terres – mais une réparation sur un plan individuel. Cela me procure des sensations émotionnelles de réparation. De par la nature de cette dynamique, mes clients sont généralement des hommes blancs, hétérosexuels, assez aisés pour financer une relation avec une dominatrice.

Je me suis mise à réfléchir sur ma relation à ces hommes. Beaucoup d’entre eux me posaient des questions. Certains me disaient : « Ce que tu me fais a un impact en dehors des sessions sur ce que je pense ». Un client a dit qu’il avait remarqué qu’il ne tenait la porte qu’aux femmes noires. Un autre a fondé une association d’aide aux mères célibataires noires du quartier sud de Chicago.

C’est là que je me suis dit que j’avais en quelque sorte créé une plateforme pour faire réfléchir les hommes blancs cis sur certaines choses. Le fait de simplement les laisser être soumis ne suffit pas toujours pour accomplir un virage drastique dans la discipline que je pose et pour que je parvienne à savoir ce que je veux. Je dois alors faire venir mes copines en renfort, comme Audre Lorde et Patricia Hill Collins, pour forcer ces hommes à vraiment lire sur l’afro-féminisme. C’est comme ça que le client passe d’une simple fétichisation des femmes noires à la prise de conscience de ceci : « Je contribue à un problème systémique en étant un homme blanc et en étant riche ».

Quel genre d’avis reçois-tu lorsque tu présentes ce concept aux gens qui viennent te voir ? Sont-ils partants en général ?

Disons que je n’ai pas l’habitude de leur demander la permission [rires].

En effet.

Mais pour être honnête, je ne sais pas. Ils ne demandent pas « Est-ce que j’ai fait ce qu’il fallait aujourd’hui ?« . Je le leur fais faire, point. Leur avis, je le vois au fait qu’ils restent. Et qu’ils reviennent. Et qu’ils se mettent à lire à fond les essais que je leur indique. Lorsque je les autorise à penser au sujet de ces lectures, et qu’on en discute, ils me disent : « Je n’avais jamais pensé à ces choses, ça m’a beaucoup aidé ».

Je pense que c’est ça qui fait qu’ils m’idolâtrent sur un autre plan. Ils veulent croire que l’on est une maîtresse SM 24h sur 24, 7 jours sur 7. Si je ne les domine pas seulement physiquement, mais que je leur dis aussi « Hey, ma formation académique est aussi consacrée au BDSM comme réparation pour les femmes noires, et j’y pense tout le temps », alors ils se disent : « Whaou, elle est à 100% dedans ». Ça les terrifie. Mais ça rend le truc encore plus vrai pour eux.

Quelles sont les lectures que tu ordonnes ?

En général, je commence avec La Pensée féministe noire de Patricia Hill Collins. C’est un peu daté, des choses ont été contestées, mais ça reste un bon livre. Un chapitre sur le contrôle des images m’obsède. Alors je le leur fais lire.
Pour leur faire révéler leur manière de fétichiser les femmes noires et leurs stéréotypes sur les femmes noires, je leur demande : « Pourquoi tu veux être en ma présence ? Pourquoi tu me trouves attirante ? » Et parfois ils vont dire quelque chose qui me rappelle les stéréotypes sur les femmes noires – comme la figure de Jezebel par exemple – et là, je vais devoir leur faire lire un texte sur le lien entre leurs paroles et le phénomène historique des discours sur les femmes noires. Je leur dis : « Elle est là, la racine. Voilà pourquoi ce que tu as dit est problématique ». C’est ainsi que je peux leur dire :  » Tu peux m’idolâtrer, mais il fait que ce soit fait d’une manière non-problématique« .

Parmi les lectures, il y a aussi Sister Outsiders d’Audre Lorde, The New Jim Crow de Michelle Alexander, The Black Body In Ecstasy de Jennifer Nash, The Color of Kink d’Adriene Cruz, et des extraits de l’anthologie This Bridge Called My Back.

Peux-tu m’en dire plus sur le BDSM comme guérison pour les femmes noires ?

L’un des chapitres que j’ai rédigés pour mon mémoire portait sur mon travail de dominatrice, mais aussi plus généralement sur l’idée que le BDSM est un espace où l’on peur vraiment travailler sur les choses que l’on vit. Je que j’entends par là, c’est : Quels bénéfices émotionnels, mentaux et sociaux peut-on cultiver dans un espace où une femme noire est en position dominante par rapport à un homme blanc ? Quel genre de bénéfices cela nous apporte-t-il dans nos vies ?

Je n’irais pas jusqu’à dire que cela a forcément un impact positif sur le plan systémique. Je dis que dans la mesure où il y a tant de traumatismes chez les femmes noires, le fait d’avoir un espace où l’on domine, pendant une heure, avant de quitter cet espace et de redevenir l’un des groupes les plus oppressés, ça peut être très libérateur. C’est une forme de self-care. Je défends cette idée car c’est ce que j’ai largement constaté. Cela ne signifie pas qu’il n’y a jamais de complications.

Quels autres effets ces séances ont-elles sur toi ?

Sans vouloir trop glamouriser la chose, je dirais de nombreux effets. Honnêtement, quand je finis une séance, je suis épuisée. Il y a beaucoup de travail de préparation. Je m’efforce de créer une scène basée sur les choses qu’ils me disent aimer. Il faut trouver quelque chose d’original à chaque fois.

Je ne suis pas spécialement dominante naturellement, surtout dominante à ce point, à temps plein. C’est comme un rôle que j’endosse, un rôle que j’aime mais qui me demande beaucoup de travail.

C’est moins le cas depuis que je travaille dans un donjon et que je bénéficie d’une sélection des clients, mais par le passé il m’est arrivé d’avoir peur de tomber sur des gens qui me traitent mal. J’ai eu les peurs et anxiétés communes à tous les travailleurs du sexe.

Comment se passe la transition entre une session et le retour à la vie normale ?

Quand je quitte le donjon, si je ne conduis pas et que le dois marcher pour aller prendre mon train, je suis confrontée au harcèlement de rue. Donc, après avoir passé une heure à frapper quelqu’un et à l’éduquer, je retourne à mes vêtements normaux, je marche, je fais ma vie, et quelqu’un exerce du harcèlement de rue sur moi. C’est tellement l’opposé et ça me met en colère. Je ne dis pas que je devrais frapper chaque homme que je croise mais disons que je ne vois pas pourquoi je devrais subir du harcèlement quand je marche dans la rue.

Récemment il y a eu des débats sur le BDSM, et il semble que cela tourne autour des femmes blanches. Y a-t-il plus de femmes noires que l’on ne l’imagine dans ce milieu ?

Pour être une domina entourée d’une communauté de dominas, je peux dire qu’il y a en fait beaucoup de dominas noires. La raison pour laquelle on nous efface, c’est que, à dire vrai, la plupart des gens qui recherchent des femmes recherchent des femmes blanches cis. Il y a beaucoup de dominas, beaucoup de dominas noires, et on fait pas mal de choses ensemble. Mais quand on considère notre groupe versus le groupe de nos amis dominas blanches, on gagne beaucoup moins d’argent qu’elles. Nous avons beaucoup moins de trafic sur nos sites. Les gens nous recherchent peu, mais nous sommes là.

Pour moi, le travail du sexe et le BDSM sont des microcosmes à l’image du système global. Ce qu’il se passe dans d’autres emplois et milieux, se produit aussi dans le travail du sexe.

Traduction Bellica par Eve, depuis le HuffPost, article d’Amanda Duberman

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *