Elle vend sa virginité pour 2,3 millions d’euros : pourquoi ça choque

Une mannequin roumaine de 18 ans a mis sa virginité aux enchères pour financer ses études. Elle a trouvé preneur auprès d’un homme d’affaires de Hong-Kong pour 2,3 millions d’euros via l’entremise d’une agence d’escorting allemande. « Glauque », « sordide »: les indignés voient dans cette anecdote un exemple frappant de la marchandisation du corps féminin, monstre enfanté par l’économie de marché globalisée et le féminisme-mon-corps-mon-choix. Alors que plus de 40 millions de personnes se prostituent dans le monde, pourquoi cette nouvelle en particulier choque-t-elle autant ?

Cendrillon et les Sugar Daddy

Dans l’émission britannique This Morning, cette teenager raconte son histoire, qui a tout d’un conte capitaliste amer. Cendrillon revu et corrigé par Michel Houellebecq. Il était une fois, dans l’un des pays les plus pauvres d’Europe, la Roumanie, une belle jeune fille qui rêvait d’étudier le marketing à l’université d’Oxford. Elle se nomme Oana Raducu (ne riez pas) et sait que ni sa famille ni un hypothétique prince charmant ne pourront lui payer les études de ses rêves. A quinze ans, elle voit le film Proposition indécente, dans lequel Demi Moore vend une nuit d’amour pour 1 million de dollars. A l’âge des premiers émois amoureux, elle prend très cyniquement conscience qu’une mine d’or se trouve entre ses cuisses et se dit qu’après tout, « d’autres filles donnent leur première fois à leurs copains qui les quitteront peut-être plus tard ».

A sa majorité, elle prend le pseudonyme d’Alexandra Kephren et contacte l’agence Cinderella Escorts spécialisée dans la prostitution « haut-de-gamme », basée en Allemagne où la prostitution est autorisée. Le site cinderella-escorts.com publie dans sa rubrique « Virgins » des photos aguicheuse de la demoiselle, assorties d’une petite présentation où elle expose ses projets, ses hobbies, ses mensurations… Les enchères démarrent à un million (comme dans le film avec Demi Moore, mais en euros). Un homme d’affaire hongkongais remporte le marché à 2,3 millions d’euros. Alexandra renégocie la commission de l’agence, qui passe de 50% à 20%, ce qui lui permettra d’empocher 1,84 million d’euros.

Notre Cendrillon moderne veut faire carrière dans le marketing : le premier produit qu’elle apprend à marketer, c’est elle-même, et plutôt que d’aller au bal, elle se rend sur la marché virtuel des sugar daddy pour y vendre une prestation : sa défloration.

Vers une überisation des vagins ?

Sans surprise, les réaction les plus émues viennent des féministes « à l’ancienne » (la génération « chiennes de garde » partisane de « l’abolition de la prostitution ») et des conservateurs (la sensibilité « Manif pour tous » qui craint les dérives de la GPA). Ces deux mouvances idéologiques partagent peu de choses mais ont en commun une détestation du libéralisme qui autorise tout un chacun à se louer au plus offrant et de l’économie mondialisée qui permet la mise en concurrence de tous les corps. Or lorsqu’un domaine s’ouvre à la concurrence (la téléphonie avec la fin du monopole de France Télécom, les taxis avec l’apparition d’Über, ou les ventres de femmes avec la GPA sous-traitée en Inde), la conséquence est presque toujours la baisse des prix. Que ce soit dans une société traditionnelle où la virginité se donne dans le cadre d’un mariage religieux ou dans une société moderne où la virginité s’offre théoriquement par amour, la virginité ne s’achète presque jamais contre monnaie sonnante et trébuchante, elle est rare, donc chère.

La marchandisation du corps des femmes n’est pas une invention moderne

Lorsqu’une jeune femme explique à la télévision son choix de « vendre » sa virginité pour 2,3 millions d’euros, féministes abolitionnistes et conservateurs s’émeuvent de la « marchandisation » du corps féminin dans une société de plus en plus libérale. Pour un conservateur, la destruction de toutes les instances régulatrices de la société (religion, morale, autorité du père) précipite les femmes dans les affres de la marchandisation et donc les expose à la dévaluation.

Pourtant, la prostitution était infiniment plus florissante en Europe lorsque nos sociétés obéissaient davantage aux traditions. La littérature française est peuplée de courtisanes et prostituées en tous genres, et ce bien avant la révolution industrielle. L’histoire d’Alexandra Kephren rappelle celle de Ninon de Lenclos, courtisane née en 1620 qui selon Voltaire vendit à l’age de « seize ou dix-sept ans » sa virginité au cardinal de Richelieu contre « une rente viagère de deux-mille livres, qui étaient quelque chose en ce temps-là ». Jackpot pour Ninon.

Portrait de Ninon de Lenclos

Dans l’Occident d’antan, les femmes aussi avaient un prix. La marchandisation des femmes n’est pas une invention du libéralisme moderne. Nos corps ont toujours été une monnaie d’échange, que ce soit hors-mariage par la prostitution ou dans le cadre du mariage, lorsqu’en « donnant la main de sa fille » le père scelle le marché le plus avantageux pour sa famille, la virginité jouant un rôle capital dans la validité du mariage.

Le cours de l’hymen

Au fond, ce qui choque le plus dans l’histoire d’Alexandra Kephren, ça n’est pas qu’elle se vende (plus exactement, se loue), c’est le fait qu’elle assume publiquement de gérer son corps comme un capital. En exposant froidement son business plan sexuel à la télévision, la jeune Roumaine désacralise publiquement la virginité et risque de convaincre d’autre jeunes filles. Ce qui fait que la virginité s’achète à des prix aussi élevés, c’est précisément qu’elle n’ait pas de prix. Si l’on en croit Jan Sakobielski, le créateur de Cinderella Escorts, environ 400 femmes ont déposé leur candidature depuis. Dans la rubrique « Virgins », sept autres femmes sont désormais à l’affiche et les enchères démarrent plus bas que pour Alexandra : entre 100 000 et 500 000 euros, ce qui reste une coquette somme quand on sait que l’état d’un vagin ne dit rien de la virginité d’une femme, surtout à l’heure de l’hyménoplastie.

Au passage, le « test de virginité » auquel Alexandra s’est prêtée est un examen de l’hymen et le contrat n’est valide que si ledit hymen a l’air intact. Or on peut très bien avoir des rapports sexuels sans pénétration. Il arrive aussi que « la première fois » (avec pénétration) ne suffise pas à déchirer tout-à-fait l’hymen. Certaines saignent encore au troisième ou au quatrième rapport. L’examen de l’hymen est donc tout sauf fiable.

Alexandra Kephren va-t-elle déclencher une vague de vocations et un effondrement du cours de l’hymen sur les places financières ? Rien n’est moins sûr. Tous les 3-4 ans, une histoire de virginité vendue sur internet à un prix élevé fait le buzz et retombe dans l’oubli. Le montant astronomique de la transaction a provoqué un buzz qui a offert une publicité planétaire à l’agence Cinderella Escorts. Mais les 400 candidatures reçues pèsent peu en regard des millions de personnes qui ont eu connaissance de l’histoire d’Alexandra … et les agences veilleront à maintenir un certain niveau de rareté par la sélection. Au fond, cette affaire très médiatisée est surtout le symptôme d’une désacralisation croissante de la virginité. Est-ce un mal que sur le plan symbolique, le « trésor » d’une personne soit ailleurs que dans sa culotte ?

 

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